Retour dans la famille

La petite calèche sautillait sur les mauvaises routes. Elena regardait les paysages défiler par la fenêtre et tentait comme elle pouvait de les retrouver dans ses souvenirs. Il n’était pas midi mais le soleil brillait et chauffait la petite calèche. Elena ôtât son châle d’un beau bleu, encore éclatant de sa nouvelle robe. Dans sa main se trouvait un morceau de parchemin froissé, qu’elle pressait tendrement contre elle. La tête appuyée contre la petite fenêtre, elle rêvait, souriante malgré les remues de la petite calèche, sautillant sur la mauvaise route. C’était si agréable de s’abandonner à ses pensées et à ses rêveries de jeune fille qui tournaient dans sa tète, tel le ronron tranquille d’un chat.
Puis elle arriva à Mauléon. La ville était déjà bien active, malgré la chaleur de ce début d’été. Elena inspectait les habitants cherchant quelques traits connus mais ses recherches furent vaines, ce n’était que de nouveaux visages. La calèche s’engagea sur un chemin et quitta Mauléon, se dirigeant vers Abidos. Elena fut prise d’un sursaut en apercevant le château. Elle glissa son morceau de papier dans sa robe, contre son sein, puis ouvrit la petite fenêtre afin de passer sa tête au dehors. Elle respira l’air frais, laissant quelques mèches de cheveux flotter au vent et sourit.

Je suis si heureuse de rentrer…

Le cocher fit comme si il n’avait pas entendu la remarque de la jeune fille. Il avait très vite comprit quel empressement elle avait de retrouver un monde extérieur ce qui entrainait chez elle une certaine tendance à parler sans que rien ne puisse l’arrêter ! Le cocher n’avait aucune envie de partir dans de grandes discussions, pas aujourd’hui, pas avec une jeune fille sortant tout droit de son internat et qui était curieuse comme un écureuil.
Elena avait vu son père, qui était venu la chercher à son internat avant de la conduire une auberge non loin de Mauléon. Il avait eu des choses à faire lui avait il dit. Cela avait peiné un peu la jeune fille, qui n’avait pas encore eu l’impression de retrouver son père, mais en fin de compte ce séjour dans cette auberge lui avait été très agréable… Elle soupira, rêveuse, ria en se remémorant puis se repris en voyant que la calèche s’arrêtait devant la porte du château.
Elena se pinça les pommettes afin de les faire rosir et de lui donner meilleure mine, se recoiffa rapidement puis descendit de voiture. Elle aperçut un garde.

Bonjour messire, je me nomme Elena du Clos du Chesne, je suis la fille de ton maitre et je te pris de prévenir de mon arrivée.

Elle s'étira, engourdit par le long trajet.

Quelques jours s'étaient écoulés depuis sa prise de service, et ça ne commençait pas si bien qu'il l'aurait imaginer. Toutefois, il allait s'en accommoder et arranger le tout dés qu'il en aurait l'occasion. Alors que les gardes poursuivaient tranquillement leurs rondes, Aknaïl passa sur le poste de garde et fixa rêveur l'horizon derrière lequel se cachait Tarbes, à quatre heures de cheval, et la caserne où il servait.
Tandis que ses pensées voguaient dans son crâne, l'homme fût attiré par un point sombre à l'horizon. Il s'empara de la longue-vue que tenait un garde et jeta un œil. Il ne rêvait point, c'était une calèche qui se dirigeait droit sur le château. L'homme ne pût s'empêcher de sourire avant de crier ses ordres :

- Allez Messieurs ! Les affaires reprennent ! Visiteurs en approche ! Abaissez le pont-levis et paré à les accueillir....

Le chef de la garde se hâta, passant sur les remparts, et attira l'attention des gardes à l'entrée.

- N'oubliez pas les gars ! Vous restez méfiant, mais on accueille avec le sourire !

Tandis que ses hommes s'affairaient, le pont-levis se baissa et la calèche entra une dizaine de minutes plus tard. L'homme resta sur les remparts et laissa les gardes s'en occuper, examinant leurs façons de recevoir les visiteurs. A part le cocher, une jeune femme émergea, apparemment très heureuse, puis s'adressa au premier qu'elle croisa.

Citation :

Bonjour messire, je me nomme Elena du Clos du Chesne, je suis la fille de ton maitre et je te pris de prévenir de mon arrivée.

Le chef de la garde fronça les sourcils en se demandant si elle disait vrai, mais de toutes maniéres, quelqu'un la reconnaitrait obligatoirement ici. Le garde croisa son regard, et le chef hocha la tête, l'invitant à répondre et a annoncer son arrivée au seigneur Faster.

Ainsi donc, cette jeune femme était la fille du grand Faster. La fille d'un Seigneur...il fallait donc l'accueillir comme il se doit dans ce qui était maintenant son « chez elle ». Le garde, malgré la familiarité qu'il usa en lui chuchotant à l'oreille, ce qui lui déplut, avait tout de même eut la bonne idée d'appuyer ce qu'elle disait. Le chef se mit donc à réfléchir, très rapidement, et se retourna face à la jeune femme. Il valait mieux éviter de lui tourner le dos trop longtemps....Pas très respectueux.
Il aurait bien délégué le rôle à ce garde, mais il soupçonnait que le métier pour lui était plus semblable à des vacances qu'à autre chose. Aussi, ne connaissant pas assez tous les gardes, et ne leur attribuant pour le moment qu'une confiance des plus limités malgré le respect qu'il leur portait, Aknaïl décida de s'en charger.

- Bien, je m'en occupe garde...Continuez la ronde et surveillez-moi ce cocher...Dit-il discrètement.

Le jeune homme fît alors un pas en avant, puis parla de sa voix habituelle, n'étant ni trop sec, ni trop agréable non plus....Et c'est bien ce qu'il voulait éviter en se portant volontaire. Ne sachant point la réaction de ses hommes, il préférait ne pas leur laisser l'occasion de draguer la fille d'un seigneur. Cette pensée était peut-être tirée par les cheveux, mais il aimait la prudence, et préférait ainsi être celui qui l'accompagnerait au seigneur. Au moins, il serait sûr que tout se passe bien.

- Jeune demoiselle, je suis le chef de la garde...Je vais vous menez directement au seigneur Faster, votre père...Durant ce temps, je ferai mandé une servante qui s'occupera de vos possibles bagages. Veuillez me suivre...

Elena se trouvait en face des deux hommes. Elle comprit assez vite qu’elle avait fait erreur en s’adressant au garde, vu que l’autre homme semblait être son supérieur.
« les filles ! les filles ! Une chose très importante voire primordiale dans le monde : on respecte la hiérarchie ! Il n’y a que cela de vrai ! Adelaïde arrêtez de discuter avec le coursier! Ce n’est pas respectable pour une jeune, vous lui souriez à la rigueur pour ne pas montrer une arrogance qui déplairait mais une jeune fille qui se respecte ne parle pas avec le coursier ! Grand Aristote ! » les petits cris persants de la vieille Marge, sa directrice remontaient une fois encore à ses oreilles, ramenant toujours l’internat à son esprit ainsi que ses règles.

Le garde chuchota à l’oreille de l’autre homme. Elena ne put s’empêcher de rougir en se demandant ce qu’ils pouvaient bien se dire, si cela était sur son compte et si oui, qu’est ce qu’ils pensaient d’elle.

Jeune demoiselle, je suis le chef de la garde...Je vais vous mener directement au seigneur Faster, votre père...Durant ce temps, je ferai mander une servante qui s'occupera de vos possibles bagages. Veuillez me suivre...

Merci messire, vous êtes bien aimable. J’ai en effet un bagage…

En disant ces mots elle sortit une petite valise de la calèche, qui était tout son trésor. Une autre robe, une chemise de nuit, un peu d’essence de lavande qui lui venait d’une amie du pensionnat qu’elle avait quittée non sans larmes et sans promesse de retrouvailles, quelques livres, un paquet de lettres nouée par un ruban pervenche et c’était à peu près tout.

Je vous suit messire.

Ils commencèrent à se mettre en route. Elena avançait d’un pas léger, écoutant avec plaisir le bruissement du tissu de sa longue robe et de ses jupons qu’elle avait cousus elle-même et dont elle était très fière, il faut le reconnaitre.

Un très discret et léger sourire apparût sur les lèvres du jeune chef lorsque la fille du Seigneur sortit la valisette. Peut-être pensait-elle qu'il allait s'en occuper, se transformant temporairement en servante serviable, mais malheureusement pour cette jeune femme, ce serait une déception. L'homme ferma donc la bouche en évitant de lui dire que son rôle à lui n'était pas de transporter ses affaires, quel que soit la taille, et ce par principe ; Mais d'assurer la protection du domaine et de tous ses occupants.
Toutefois, animé par sa sagesse coutumière, il songea qu'il n'y avait que deux possibilités. Soit c'est lui qui se méprenait sur ses devoirs, ou alors la jeune ne s'était pas rendue compte que cela pouvait gêner. Parce que devant ses hommes, le chef de la garde s'imaginait mal jouer les valets, même face à une fille de seigneur.
Le jeune soldat laissa donc la valise là, au sol, et escorta la fille jusque dans le couloir. Là, il eût la chance insolente de rencontrer une servante dont il attira l'attention d'un signe de main.

- Servante, voici demoiselle Elena du Clos du Chesne, fille du Seigneur Faster. Son bagage est à l'extérieur, pouvez-vous le porter dans sa chambre je vous prie ?

Et après avoir reçu la réponse, l'homme poursuivit son chemin, se dirigeant vers le bureau du Grand Faster. Durant le trajet, il évita de poser des questions, même si certaines lui brulaient les lèvres. Son sens de la prudence était peut-être maladif, mais étant nouveau, il préférait éviter des erreurs qui pourraient lui couter cher dans l'estime et la confiance qu'on avait placé en lui.
Bien évidement, si la fille décidait de rompre le silence, l'homme y répondrait poliment. Mais pour l"instant, la méfiance était de mise, sans pour autant devenir suspicion...

Tandis qu’elle marchait Elena prit un peu plus le temps de regarder qui l’accompagnait. Cet homme, chef de la garde, se tenait à une certaine distance de la jeune femme. Il semblait imposer une certaine discipline à son maintient afin de rester à sa place dont il devait être assez fier, au vu de son regard décidé et de la manière dont il donnait des ordres au garde puis à la petite bonne qui venait de passer. Il restait silencieux. Elena quand à elle, était prise d’une certaine excitation. Je suis sortit de l’internat, je suis libre, nananère… chantait elle en pensée. Elle regardait autour d’elle. Le château lui était inconnu mais elle reconnaissait quelques affaires appartenant à son père.

Travaillez-vous pour mon père depuis longtemps messire ?

Pour être sincère, cette question n’était qu’un prétexte pour rompre le silence. Non pas qu’elle ne s’intéressait pas au chef de la garde, enfin, bien sur que si, d’ailleurs elle n’avait pas à s’y intéresser. Mais Elena avait besoin de parler et de plaire. Elle était très soucieuse de ce que les gens pouvaient penser d’elle. Les hommes en particulier puisque que cela faisait au moins trois ans qu’elle en était tenue à l’écart, éveillaient en elle une forte curiosité. Elle était d’un naturel curieux ce qui n’arrangeait rien à l’affaire. Cela faisait trop longtemps qu’elle rêvait du monde, de la danse, des fêtes, des longues promenades dans la campagne et d’amour pour qu’elle reste à la place qu’on avait voulu lui attribuer. Sois belle et tais-toi ! Non, elle voulait être belle tout en parlant. Vivre le grand amour ! Pas forcement celui qu’on épouse et avec qui on finit sa vie, non, celui qui vous transporte, qui vous aime, qui vous fait rire, trembler, pleurer. Celui qu’on aime de toutes ses forces jusqu’à en mourir. Elle voulait qu’on l’aime. Ce n’était pas de l’arrogance si parfois elle minauder sans le savoir. Mais un parfait mélange entre la volonté de bien paraitre et une certaine candeur naturelle.
Elena vivait bercée par les romans, rêveuse et insouciante. Elle pouvait se montrer forte tête car elle tenait bien plus à l’image qu’elle se faisait du monde, qu’au monde réel. Surement qu’elle devra en payer les conséquences. Mais pour le moment, elle était en sécurité chez elle. Elle pouvait rester éloignée d’un esprit trop terre à terre et de trop de mathématiques et se blottir dans son monde, voir l’imposer aux autres.

Elle écouta la réponse du chef de la garde.

La dernière fois qu’elle avait vu sa famille, elle avait quinze ans. Bientôt elle allait en avoir dix-huit. Elle était partie jeune adolescente, elle revenait jeune femme avec une âme d’enfant, joueuse, rieuse, insouciante mais aussi généreuse, attentionnée, pleine d’espoir. Un fol espoir peut être…

Messire, où se trouve mon père ? Dois-je prendre le couloir de gauche ou celui de droite ?

Elena accéléra sa marche, toujours de son pas léger, sautillant presque, courant à peine. Elle riait. Peut être avait elle surprit le chef de la garde. Elle était passée devant lui maintenant et décida sur un coup du hasard ou de l’intuition, (la fameuse intuition féminine qui sait ?) de prendre le couloir de droite. Elle tourna la tête pour vérifier que le chef de la garde la suivait bien, peut être avait il lui aussi accéléré et était rentré dans son jeu ou bien était il resté sérieux ?

Elena poussa une porte violement.

[Je laisse le soin à qui voudra de décider de la pièce où nous arrivons]

Le chef de la garde remarqua le regard joyeux de la fille du Seigneur, qui se posait sur tout et n'importe quoi. Il était aisé d'imaginer qu'elle n'avait pas du mettre les pieds ici pendant un bon moment, et à ce qu'il avait entendu dire...Cette fille-là avait passé un sacré bout de temps dans un internat. Bien heureusement pour lui, la miss décida de rompre le silence que l'homme commençait à juger macabre, devenant depuis quelques pas terriblement gênant.
Toutefois, ne sachant réellement quelle position adopté, Aknaïl répondit d'une voix plate, presque intimidée.

Citation :

Travaillez vous pour mon père depuis longtemps messire ?

Un sourire se dessina sur les lèvres du jeune soldat qui hocha la tête en répondant :

- Malheureusement non...Ce sont mes trois premiers jours de service. Toutefois, votre père m'a fait l'honneur et le privilège de m'accorder sa confiance. Et je ne le décevrai point.

Il poursuivit son chemin, ses bottes résonnant dans les couloirs comme lors d'un jour de parade devant les foules. Sauf qu'ici, c'était vide, et il préférait ça.
En peu de temps, la jeune s'égailla et commença à partir n'importe où, ne sachant quel chemin prendre. C'était amusant de voir que la situation venait de s'inverser, Aknaïl étant celui qui était sensé amener la jeune femme à son père, et non inversement.

Citation :

Messire, où se trouve mon père ? Dois-je prendre le couloir de gauche ou celui de droite ?

Le chef de la garde eût à peine le temps d'ouvrir la bouche, qu'elle se décida elle-même d'aller à droite. Son humeur joyeuse, presque infantile le fît sourire, son regard pétillant malgré lui de la malice et de la nostalgie. Cette jeune ressemblait un peu à Ditzzy, une femme du même âge qui suivait ses impulsions de gaieté à la lettre, passant en un temps record du calme aux même gestes : sautillements, pas de danse...
L'homme secoua la tête et lui emboita le pas, lui laissant ouvrir la porte d'une remise de service contenant les affaires des bonnes pour le ménage et l'entretien de la demeure.
Le chef laissa échapper un léger rire puis pointa le doigt dans une autre direction.

- Miss, vous y étiez presque....Mais c'est la porte d'à coté. C'est la salle de réception où se trouve votre père.

En entrant dans la remise, Elena se retrouva plongée dans le noir. La lourde porte s’était refermée derrière elle. En cherchant à retrouver la poignée, Elena trébucha sur un saut qui fit tomber un ballais qui fit tomber une dizaine de torchons qui s’éparpillèrent au sol. Honteuse, Elena tenta de tout ramasser et de tout replacer à peu près en place.

- Miss, vous y étiez presque....Mais c'est la porte d'à coté. C'est la salle de réception où se trouve votre père.

Elena sursauta en entendant la voix du chef de la garde qui venait de rouvrir la porte. Elena chercha à garder un peu de dignité et tenta de cacher son empressement à ramasser ce qu’elle avait fait tomber à terre. « le ménage n’est pas le travail d’une dame ! Il y a des domestiques pour cela ! » lui sifflait la vieille Marge à l’oreille. Comme si de rien n’était, Elena laissa le ballais à terre, et se tenant bien droite, elle dit d’une voix qui se voulait indifférente :

Je préviendrais une des bonnes qu’il faut ranger cette remise.
Elle se recoiffa un petit peu, mais elle ne put s’empêcher d’être amusée de son propre comportement. Elle se racla la gorge afin de se redonner un minimum de prestance, et remercia l’homme qui lui tenait la porte. Tout en sortant de cette remise, elle se jura de ne plus jamais y mettre les pieds. (si elle vivait encore aujourd’hui, Elena aurait surement installé un éclairage automatique dans cette pièce mais je m’égare, pardonnez moi.)

Elle retrouva son sourire heureux et perdit son embarras au profit de la joie des retrouvailles.
Elena poussa la porte indiquée par le chef de la garde.

Papaaa ?

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